Prix de reconnaissance pour services exceptionnels 2002 – L’hon. John Reid

Allocution du récipiendaire:

L’honorable John Reid (Commissaire à l’information) : Monsieur le président, monsieur le Président de la Chambre, monsieur le Président du Sénat, familles endeuillées, mesdames et messieurs, je voudrais remercier les membres de l’association de m’avoir si gentiment décerné ce prix.

Lorsque j’ai commencé à mettre sur pied l’association, c’était presque une thérapie pour moi puisque j’avais été battu aux élections de 1984. Je suis redevable à M. McGrath de Terre-Neuve, qui n’est pas ici aujourd’hui, mais qui était président du comité parlementaire chargé d’examiner la réforme du Parlement durant la première année du gouvernement Mulroney, de la chance que j’ai eue de m’atteler à cette tâche. Son associé, M. Holtby, et lui avaient découvert un discours que j’avais prononcé quelques années avant  et dans lequel j’avais dit qu’il devrait y avoir une association des ex-parlementaires. Personne n’a été plus surpris que moi lorsqu’ils m’ont présenté un discours dans lequel on disait : «  Allez-y, faites-le. »

le Président Bosley de la Chambre des communes et le Président du Sénat m’ont fourni les ressources nécessaires pour le faire. C’était une entreprise commune de tous les partis politiques. Nous avons travaillé très fort. Je suis tout étonné de voir qu’une toute petite graine ait pu germer et se transformer en une si grande organisation.

Quand j’ai fait mon entrée au Parlement en 1965, j’ai reçu quatre conseils et un défi. Le premier conseil m’a été donné par un de mes plus fermes partisans, Luke Francis, qui était président d’un des syndicats des pâtes et papiers de ma circonscription. Il m’a dit : « John, apprends la procédure. C’est ce que font les chefs syndicaux. Nous apprenons la procédure, nous nous endurcissons les fesses et nous apprenons à siéger de longues heures. » Quand on arrive à la Chambre, c’est justement ce qu’il faut : être capable de siéger de longues heures.

Quand je suis arrivé au Parlement, j’ai regardé alentour pour voir ce que je pouvais faire et j’ai constaté qu’il y avait des ouvertures dans la question de la procédure parce que ce n’est pas un sujet qui intéresse d’emblée les députés. Ils veulent plutôt avoir l’occasion de prendre la parole, de trouver un auditoire, de dire ce qu’ils ont à dire et de faire ce pour quoi ils sont venus au Parlement.

Le deuxième conseil m’a été donné par mon mentor, Bill Benidickson, qui est devenu plus tard sénateur. Il m’a embauché lorsque j’étais un étudiant universitaire sans le sou et crevant de faim venu à Ottawa pour rédiger une thèse de doctorat sur Mackenzie King et sir Robert Borden. Mon père et lui étaient des associés politiques. Mon père, lorsqu’il a appris que je venais ici, m’a dit d’appeler M. Benidickson, ce que j’ai fait, et il m’a offert un emploi.

J’ai regardé tout ça et je me suis dit que je devais rédiger cette thèse parce qu’il fallait que je puisse gagner ma vie un jour. J’ai travaillé des demi-journées pour lui et, petit à petit, après trois semaines, je suis devenu son adjoint à plein temps. Il s’est assuré que j’aie l’occasion d’en apprendre au sujet de la politique.

Quand j’ai été élu, il m’a fait venir à son bureau et m’a dit : « Voici mon conseil : j’ai remarqué qu’il y a deux genres de députés. Il y a ceux qui défendent leurs idées et ceux qui plient l’échine devant les puissants. Selon mon expérience, ceux qui défendent leurs idées et qui ont quelque chose d’utile à dire font aussi bien, voire mieux, que ceux plient l’échine devant plus fort qu’eux. Si tu fais comme les premiers, tu dormiras mieux la nuit. » J’ai toujours bien dormi la nuit durant toute ma carrière politique.

Un autre conseil m’est venu de Jean-Luc Pépin. Jean-Luc a pris la parole durant la réunion où j’ai été nommé candidat. Il m’a arrêté lorsque je marchais dans les corridors du Parlement la journée avant la rentrée parlementaire et m’a dit : « Eh bien, Reid, vous semblez bien fier de vous. Vous marchez la tête haute et le torse bombé. » J’ai dit : « Je suppose que oui. » Il a dit : « Je vais vous donner un conseil. Vous ne savez pas pourquoi vous avez été élu et vous ne savez pas pourquoi vous avez été battu. » J’ai trouvé cela un peu étrange parce que je croyais savoir pourquoi j’avais été élu. J’étais jeune, beau et célibataire.

Ce n’est que lorsque Jean-Luc lui-même a mordu la poussière aux élections de 1974 que j’ai compris son conseil. J’ai eu un entretien avec lui quand il est revenu après sa défaite par 25 voix. Je lui ai dit : « N’allez-vous pas contester ce résultat? » Il a répondu : « Non, les électeurs ont fait leur choix. Je ne sais pas pourquoi ils ont fait ce choix, mais je vais reprendre la route parce qu’il ne sert à rien de s’apitoyer sur son sort. » Ce fut un excellent conseil que j’ai appliqué lorsque j’ai perdu à mon tour.

Un dernier conseil m’a été donné par un ex-député, un libéral du Timiskaming, Joe Habel. À cette époque où la rectitude politique n’existait pas, Joe avait coutume de s’asseoir derrière le rideau et de fumer les plus longs cigares que je n’avais jamais vus de ma vie. Il écoutait tous les débats. Il était là tout le temps. Il écoutait tout et interprétait tout.

Je me souviens d’un soir où le gouvernement se faisait rosser par l’opposition. Joe restait assis là et fumait tranquillement son cigare.J’étais de plus en plus agité. Je lui ai dit : « Joe, c’est terrible. Nous nous faisons battre à plate couture. Nos ennemis sont en train d’avoir notre peau. » Il a dit : « Détends-toi. Il y a une chose que tu dois comprendre. Les gens d’en face sont l’opposition officielle de Sa Majesté. Ils font ce qu’ils sont censés faire. En revanche, vos ennemis sont tout autour de vous, de ce côté‑ci de l’enceinte. » Ce conseil s’est révélé fort utile plus d’une fois par la suite.

Le défi m’a été lancé par le bureau du whip lorsque j’y suis allé pour savoir si je pouvais obtenir un bureau suffisamment prestigieux pour le député de Kenora – Rainy River. Pendant que je négociais cette très délicate question avec le bureau du whip, un des whips adjoints est entré et m’ a dit : « Dites donc Reid, allez-vous être un parleur ou un faiseur? Allez-vous être réélu ou battu la prochaine fois? » Je lui ai demandé : « Comment pouvez- prédire, d’après ce que je fais ici, que je serai réélu ou battu? » Il a répondu : « C’est tout simple. Voici ma liste. Ceux-ci sont les parleurs. Ceux-ci sont les députés qui parlent le plus à la Chambre. ». J’avais 19 députés sur ma liste. Dix-huit d’entre eux ont été battus. Un a été réélu et est entré au Cabinet. C’était Joe Greene. Il a dit : « Nous avons coutume de dire ici que si vous êtes un parleur, vous ne resterez pas bien longtemps, mais que vous laisserez un hansard bien épais. Cependant, si vous savez ce que vous faites, vous avez de bonnes chances de revenir. » J’ai essayé de rester au milieu de ces deux extrêmes.

La dernière influence est venue de ma circonscription.J’avais la plus grande circonscription de l’Ontario. Elle s’étendait sur 50 000 milles carrés lorsque j’ai commencé et, à la fin, sur quelque 150 000 milles carrés. Elle n’a jamais cessé de s’agrandir, à l’instar du nombre d’électeurs. J’ai passé beaucoup de temps là-bas.

Il en est résulté que d’énormes pressions se sont exercées sur ma famille parce que la politique a des effets corrosifs. L’un d’eux est la quantité de temps que l’on doit consacrer à ce qui est essentiellement une entreprise où l’on doit pouvoir compter sur l’appui des gens pour desservir une grande circonscription rurale. Je n’aurais pu faire tout ce que j’ai fait n’eût été de ma femme qui, en plus de m’aimer, a toujours veillé à ce que je ne m’enfle pas la tête et à ce que je continue de m’occuper d’elle et de notre famille.

Lorsque l’on m’a appelé pour que j’accepte ce prix, j’ai été plutôt surpris. J’ai commencé à penser à ce que je laisse en héritage à la Chambre des communes. J’avais beau y penser, rien ne me venait à l’esprit. Puis, je me suis dit que le seul héritage que je laisserai derrière moi est celui que j’ai en commun avec ma femme, ce sont nos quatre enfants dont je suis immensément fier.

Merci.